100 % D'AUTONOMIE ALIMENTAIRE GRÂCE AUX 3 MODES D'EXPLOITATION DE L'HERBE

REPORTAGE. Cyril Lecordier et Philippe Mary, les deux associés du Gaec de la Valette, en Normandie, n’achètent aucun concentré pour livrer 1 million de litres de lait bio. Leur méthode : couvrir les trois-quarts des besoins alimentaires de leurs 150 vaches avec de l’herbe pâturée, ensilée ou affouragée en vert.

« Toute l’année, nous n’achetons aucun concentré pour livrer 1 million de litres de lait bio » annonce Cyril Lecordier lorsqu’il nous reçoit pour échanger sur le système herbager de son exploitation, le Gaec de la Valette. Si bien, qu’en 2023, le coût alimentaire annuel était limité à 38 € pour 1000 litres de lait produit. Ce coût calculé par son centre comptable n’inclue ni le poste main d’oeuvre ni les frais de récolte qui sont relativement élevés dans la mesure où une part significative de l'herbe (ensilage et affouragement) est ramassée avec deux remorques autochargeuses en propriété(1). Le quadragénaire élève, avec son associé Philippe Mary, 150 vaches en croisement rotatif Prim’Holstein X Brune dans le bocage normand. Il motive ce croisement original « par la volonté d’apporter, grâce à la génétique Brune, de la solidité des membres, indispensable pour le pâturage, de la fertilité ainsi que des taux à la Prim’Holstein reconnue pour sa productivité ». Les animaux produisent moins de 6000 litres de lait par an, leur productivité étant volontairement limitée par la stratégie alimentaire.

Affouragement en vert pendant 150 j

La recette de ce coût de ration serré : une alimentation à base d’herbe riche en protéines toute l’année. L’herbe est exploitée sous trois formes : pâturage, affouragement en vert et ensilage. La part de l’herbe pâturée est significative pendant 2 saisons : de fin février à fin juin, avec une production de l’ordre de 40 à 80 kg de MS / ha / j(2), puis en automne, avec une production entre 30 et 50 kg MS / ha / j du début septembre à la fin octobre(2). Le pâturage d’été est beaucoup plus aléatoire avec une production d’herbe qui baisse de moitié, voire s'arrête totalement comme en 2022 où les prairies étaient sèches. « Les 40 ha de prairies naturelles accessibles, à potentiel de rendement modéré, ne suffisent pas pour couvrir les besoins de l’ensemble du troupeau pendant toute la saison du pâturage » constate Cyril Lecordier. Lorsque les vaches en lactation pâturent, l’éleveur leur distribue un complément de ration d’hiver. Cette dernière est un mélange de deux-tiers d’ensilage d’herbe et d’un-tiers d’ensilage d’épi de maïs. « L’herbe fraîche permet un plus haut niveau de production (25 à 26 kg de lait) que notre ration ensilée (20 kg de lait) » observe Cyril Lecordier. « C’est pourquoi, lorsque la pousse de l’herbe ralentie à partir de la fin mai, nous augmentons la surface d’herbe fraîche exploitée grâce à l’affouragement en vert en complément du pâturage ». Le prix du lait au plus haut de la mi-juillet à la fin septembre permet d’amortir cette opération. Une partie des prairies de mélange Ray-Grass Anglais, trèfle violet et trèfle blanc (toutes ensilées en première exploitation, à la mi-mai) est alors consacrée à l’affouragement jusqu’à la fin-octobre, soit pendant 150 jours environ. « Seules les parcelles situées à moins de 4 kilomètres des bâtiments d’élevage servent à affourager le troupeau » précise Cyril Lecordier. Il estime qu’il ne faut pas passer plus d’une heure pour remplir son autochargeuse de 25 m3 DIN et la décharger pour que l’opération soit rentable (voir l’encart Combien ça coûte ? en fin d'article). L’éleveur y consacre en moyenne 45 minutes par jour(3).

Autochargeuse distributrice et faucheuse frontale

Les associés se sont équipés, en 2022, d’une autochargeuse distributrice KRONE AX 280 HD avec un volume de caisse de 25 m3 DIN et d’une faucheuse frontale de 3,6 mètres de la même marque(4). Pour la distribution à l’auge, la remorque est équipée d’un tapis en position arrière et de rouleaux démêleurs. Séparer la fauche de la remorque présente deux avantages selon Cyril Lecordier : 1/ l’ensemble vieillit mieux et 2/ la remorque peut être utilisée également pour du transport. Dans l’exploitation, elle sert également pour ensiler l’herbe en combinaison avec une autre remorque autochargeuse de 47 m3. Elle est équipée de pneus larges basse pression et d’une suspension hydropneumatique, « des options conseillées pour l’affouragement en vert » selon l’éleveur. Une puissance de traction de 150 cv est suffisante pour tracter la machine. L’éleveur utilise un tracteur plus puissant, de 190 cv, « pour moins marquer les sols en conditions humides ». Il pointe que « le volume de la caisse est insuffisant pour un troupeau de 150 vaches ; il convient plutôt à un élevage de 80 – 90 vaches ». C’est un choix assumé « car nous voulions limiter l’encombrement de la machine pour circuler dans le couloir d’alimentation et passer sous les portails ». En plus, la capacité de chargement correspond à la part d’affouragement (en complément du pâturage) en usage dans l’exploitation. « Entre le pâturage et l’affouragement en vert, l’herbe fraîche couvre au minimum 60 % des besoins journaliers des vaches entre février et octobre » estime Cyril Lecordier. Il nuance que « cette part dépend bien entendu des conditions météo, la pluie qui réduit la portance des sols ou les fortes chaleurs qui pénalisent la pousse de l’herbe ». En 2022, la production d’herbe était inexistante entre la fin juin et la fin août. « Cette année-là, nous avons manqué de stock et n’avons pu livrer que 850 000 litres de lait » se remémore Cyril Lecordier. Il en a déduit « qu’il leur faut au moins 3 mois de stock d’avance, 6 idéalement, pour passer des épisodes météorologiques difficiles ».

(1) Source : comptabilité de l’exploitation, hors coût de mécanisation et de main d’oeuvre. En incluant les seuls coûts de mécanisation liés à la récolte de l'herbe et de l'ensilage d'épi de maïs, le coût alimentaire est plus proche de 80 - 85 € / 1000 litres. Les coûts de travaux de récolte sont estimés autour de 180 € / ha de SAU (contre moins de 120 € / ha de SAU en moyenne du Grand-Ouest de la France). (2) Source : Observatoire de l’herbe, Chambre d’Agriculture de Normandie. (3) Lors de notre reportage, l’affouragement en vert du troupeau laitier a duré une quarantaine de minutes. (4) Cette machine remplace une remorque autochargeuse de 47 m3 trop imposante pour circuler dans le couloir de distribution. Cette dernière ne sert plus que pour ramasser les ensilages d’herbe.

Fiche Descriptive :

Gaec de la Valette, Tinchebray- Bocage (Normandie, Orne 61) - 2 associés, Cyril Lecordier et Philippe Mary et 1 salarié. - Exploitation laitière spécialisée, système bio herbager - 1 million de litres de lait Bio livré - 150 vaches en croisement rotatif Prim’Holstein X Brune (< 6000 l / an) - 210 hectares de SAU intégralement consommés par les bovins : • 75 ha de prairies naturelles pour le pâturage des vaches et des génisses. • 100 ha de prairies temporaires de fauche (ensilage et affouragement en vert) composés de RGA, de trèfles violet et blanc. • 20 ha de RGI. • 15 ha d’ensilage de maïs épi. Résultats économiques (comptabilité 2023): - Coût alimentaire hors MO et mécanisation (1) : 38 € / 1000 l produits - Coût alimentaire avec frais de mécanisation : entre 80 et 85 € / 1000 l (estimations) - Marge sur coût alimentaire : 423 € / 1000 l produits (hors MO et mécanisation)

Combien ça coûte ?

Grâce aux données chiffrées communiquées par Cyril Lecordier, nous avons pris notre calculatrice pour estimer le coût d’une tonne MS d’herbe affouragée en vert au Gaec de la Valette. - L’investissement dans l’ensemble autochargeuse distributrice et faucheuse frontale était voisin de 100 000 € en 2022. Avec un amortissement sur 7 ans, le coût annuel de la machine est de 15300 € / an (frais financiers inclus). Etant donné que 90 % (environ) du temps de fonctionnement de la machine sont consacrés à l’affourragement en vert, le coût de la machine affecté à cette opération est estimé à 13 700 € / an, soit 125 € / h (avec 110 heures d’utilisation par an). - Il faut y ajouter l’heure de traction (entretien inclus) avec un tracteur de 190 cv, soit 50 € / h (selon le barème entraide 2023). Le coût d’une heure d’affouragement en vert revient donc à 175 € / h (hors main d’oeuvre) au Gaec de la Valette. Chaque tour durant en moyenne 45 minutes (0,75 h), il coûte environ 130 €. - A chaque tour, l’autochargeuse charge et distribue 0,45 tonne MS d’herbe, calculé en prenant la référence de 18 kg MS d’herbe / m3 de volume DIN (source AFPF et BCEL Ouest, 2015). - La mécanisation de l’affouragement en vert revient donc à au moins 250 € / TMS au Gaec de la Valette, (hors MO). Il faut y ajouter le coût de production de l’herbe, autour de 15 € / TMS, soit un coût total de 265 € / TMS d’herbe affouragée en vert, le double d’une tonne de maïs fourrage rendu auge (130 € selon le site Perel.fr). Contrairement au maïs, l’herbe est équilibrée pour produire du lait. Une tonne MS de maïs ensilage équilibré avec du tourteau de soja revient à 210 € / TMS (à 440 € / T de soja 48 incorporé à hauteur de 175 g / kg MS de maïs ensilage). Au Gaec de la Valette, l’herbe affouragée à l’autochargeuse coûte 1,3 fois plus cher que du maïs ensilage conventionnel équilibré rendu à l’auge (de valeur nutritionnelle comparable sur le papier). Dans l’exploitation, le coût de l’affouragement en vert est pénalisé par deux facteurs. D’une part, la période d’affouragement est seulement de 150 jours par an et, d’autre part, la part de l’herbe affouragée dans la ration des vaches est comprise entre 0,6 et 0,7 tonne MS de fourrage vert par vache et par an. Une étude réalisée en 2015 en Bretagne (par BCEL Ouest qui a été absorbé dans INNOVAL depuis) montrait que pour être compétitif par rapport au maïs fourrage, l’affouragement en vert devait nourrir les vaches pendant au moins 250 jours avec au moins 1,5 tonnes de fourrage vert. Au Gaec de la Valette, on est loin de ces critères de rentabilité. Cependant, le coût de la ration bio distribuée à l’auge et ramené aux 1000 litres de lait livrés est très compétitif, même en intégrant les coûts de mécanisation élevés. Le coût alimentaire est en effet estimé entre 80 € et 85 € / 1000 litres de lait livrés avec les coûts de mécanisation, mais sans la main d’oeuvre (38 € d’intrants + 35 € de mécanisation pour l'herbe + 10 € de mécanisation pour l’ensilage du maïs épi).

 

XXLAIT, décembre 2024

Lien vers le site XXLAIT :  https://lemagxxlait.com/